Le projet de loi de Finances pour 2025 dans sa version initiale, c’est-à-dire celle concoctée par le gouvernement Barnier, avait tendance à épargner les contribuables. C’était, toutefois, sans compter sur les amendements émanant des députés qui, sous prétexte de renflouer les caisses de l’Etat au nom d’une plus grande justice fiscale, auraient pu transformer ce projet de loi en l’un des plus confiscatoires pour les épargnants.
Concernant la justice fiscale, il convient de garder en mémoire que le système français se trouve être le plus redistributif et le plus égalitaire au sein des pays de l’OCDE. Si, avant redistribution, les 10 % des ménages les plus riches, disposent d’un revenu moyen 18 fois supérieur à celui des 10 % les plus modestes, l’écart tombe à une moyenne de 3 fois après les effets de la redistribution. Ceci s’explique par le fait que parmi la population des 15 % des plus pauvres, 95 % bénéficient de transferts nets c’est-à-dire qu’ils reçoivent plus de la collectivité qu’ils ne versent.
Il convient également de souligner que sur les 41 millions de foyers fiscaux, seuls 18 millions acquittent l’impôt sur le revenu ce qui représente seulement 44 % des contribuables. Les 10% les plus aisés acquittent 75% des 97 milliards de l’impôt sur le revenu ainsi que 35% des 120 milliards de CSG. Le niveau de la fiscalité sur le patrimoine avec un taux de 4,1% du PIB est au plus haut. Si l’on se focalise sur la population des 1% les plus riches en termes de revenus, leur contribution se monte à 32% de l'impôt, soit près de 32 milliards ce qui correspond à un impôt de l’ordre de 100 000 € par personne. Les 0,1% des plus riches, soit environ 33 000 personnes, acquittent près de 13 milliards ce qui correspond à une imposition de 400 000 € par personne. Quant aux 3 000 français les plus riches, ils versent plus de 4 milliards ce qui correspond à une ponction de 1,3 million par personne.
En clair, avec des prélèvements obligatoires représentant 48% du PIB et des dépenses publiques équivalentes à 58% du PIB, nous détenons le titre de champion du monde de la pression fiscale, de la dépense publique et de la redistribution.
Ceci n’a pas freiné les ardeurs des députés qui ont opté pour la solution de facilité en cherchant à taxer davantage les revenus et les plus-values des plus aisés. Conscients que ces mesures risquaient de favoriser le départ des contribuables les plus fortunés, les députés ont pris le parti de renforcer l’exit tax, mécanisme qui vise à taxer les plus-values latentes des contribuables et notamment celles des chefs d’entreprise lors du transfert de leur domicile hors de France. Ainsi, pour être exempté du paiement de la plus-value, le contribuable doit, lors de son départ pour l’étranger, s’engager à ne pas vendre les titres de son entreprise pendant une durée de 15 ans au lieu de 2 ans actuellement.
Outre ce dispositif, l’imagination sans borne des députés a débouché sur une taxe de 2 % sur le patrimoine des milliardaires, une imposition des plus-values sur les ventes des résidences principales si le délai de détention est inférieur à 5 ans, un rehaussement du PFU à 35 % pour les dividendes versés par les sociétés de plus d’un milliard d’euros lorsque ceux-ci excédent la distribution moyenne des 5 dernières années… En définitive, ces mesures ne devraient pas s’appliquer car, en cas de recours au 49.3, le texte entériné sera celui du projet initial et, en l’absence de recours au 49.3, le Sénat ou le Conseil Constitutionnel devrait censurer ces amendements.
Plutôt que de privilégier la facilité en cherchant à augmenter la fiscalité, il serait préférable de mesurer l’efficacité des dépenses publiques et de prendre les mesures nécessaires en vue de baisser le train de vie abyssal de l’Etat. Il est paradoxal de constater qu’en dépit du niveau record des dépenses engagées, le service public ne cesse de se déliter. Une étude de la Cour des Comptes révèle que plus du quart de la dépense publique est consacrée au financement de la branche vieillesse, c’est-à-dire aux dépenses de retraites, aux prestations de solidarité, aux régimes particuliers et au financement des allégements ou exonérations de cotisations sociales. Ce budget des retraites et dépenses assimilées représente 40 % des prestations sociales et près de 14 % du PIB ce qui est démesuré et ce d’autant plus que la masse salariale publique ne cesse de progresser faute d’engager une réforme d’ampleur de l’Etat et de son fonctionnement.
La mesure emblématique du projet de loi de finances concerne la Contribution Différentielle sur les Hauts Revenus (CDHR) visant à introduire un taux d’imposition minimum de 20 % à l’encontre des contribuables les plus aisés. Cette mesure, censée ne durer que 3 ans, concerne les revenus 2024, 2025 et 2026. Toutefois, suite à un amendement des députés, la mesure risque d’être pérenne.
Les contribuables visés par la CDHR sont ceux soumis à la Contribution Exceptionnelle sur les Hauts Revenus (CEHR) c’est-à-dire les personnes dont le revenu fiscal de référence est supérieur à 250 000 € pour les personnes seules ou 500 000 € pour les couples et partenaires de PACS. Il est à signaler que ces seuils de revenus n’augmentent pas avec les enfants à charge, autrement dit, le nombre de parts fiscales n’entre pas en ligne de compte. Pour rappel, la CEHR a été instituée sous la présidence de Nicolas Sarkozy via la loi de Finances pour 2012 avec une application sur les revenus 2011 et doit rester en application tant que le budget restera déficitaire. Autant dire que cette contribution n’a donc rien d’exceptionnelle et devrait plutôt être rebaptisée d’éternelle !
Pour une personne seule, la CEHR consiste à taxer au taux de 3 % les sommes comprises entre 250 000 € et 500 000 € et à 4 % celles excédant 500 000 €. En clair, un contribuable célibataire qui dispose d’un revenu de 600 000 € devra acquitter une CEHR de 11 500 € (3 % sur 250 000 € + 4 % sur 100 000 €). Pour un couple, les bornes sont doublées, de sorte que la fraction soumise au taux de 3 % est comprise entre 500 000 € et 1 000 000 € et celle à 4 % au-delà de 1 000 000 €. Pour un revenu de 600 000 €, la CEHR d’un couple ressort donc à 3 000 € (100 000 € X 3 %) et à 23 000 € pour un revenu de 1 200 000 € (3 % sur 500 000 € + 4 % sur 200 000 €).
La CEHR n’est pas assise sur le revenu imposable mais sur le revenu fiscal de référence du foyer fiscal qui englobe une base de revenus plus large.
Pour rappel, le revenu imposable prend en compte l’ensemble des revenus perçus au cours de l’année soumis au barème progressif tels que les salaires, les bénéfices professionnels (BIC, BNC, BA), les pensions et les revenus fonciers moins les abattements tels les 10 % au titre des frais professionnels ou celui des personnes âgées ou dépendantes ainsi que les charges déductibles telles que les pensions alimentaires, l’épargne retraite (versements sur PER et PERP)...
Pour aboutir à la détermination du revenu fiscal de référence, il convient de retenir le revenu imposable et d’ajouter les revenus et les plus-values soumis au prélèvement fiscal unique (PFU), les revenus soumis au prélèvement libératoire, les plus-values immobilières, les éventuels abattements pratiqués sur les plus-values de cession de valeurs mobilières ainsi que sur les dividendes et les déductions au titre de l’épargne retraite (PER).
Les revenus non pris en compte dans le revenu fiscal de référence sont les intérêts des livrets réglementés (livret A, LDDS, LEP, livret jeune, PEL de moins de 12 ans), les plus-values immobilières exonérées (résidence principale ou bien détenu depuis plus de 22 ans), ainsi que les plus-values liées aux retraits effectués sur les PEA de plus de 5 ans. Des spécificités existent au niveau des plus-values. Ainsi, les plus-values exonérées à l’impôt sur le revenu liées à la cession des titres de société imposée à l’impôt société (IS) suite au départ à la retraite du chef d’entreprise sont intégrées au revenu fiscal de référence. En revanche, les plus-values professionnelles relatives aux entreprises individuelles ou sociétés non soumises à l’IS dégagées suite au départ à la retraite ne sont pas intégrées au revenu fiscal de référence. Les plus-values en report d’imposition (article 150-0 B ter du CGI) sont réincorporées lors de l’expiration du report à un taux correspondant à celui de l’année de l’apport en l’absence de report.
La plupart des déductions, telles que les pensions alimentaires, les grosses réparations payées par le nu-propriétaire, les charges des monuments historiques ainsi que les déficits fonciers imputables sur le revenu global permettent de diminuer l’assiette du revenu fiscal de référence. Comme évoqué précédemment, les versements sur les PERP et les PER viennent réduire le revenu imposable mais ne peuvent venir en déduction du revenu fiscal de référence.
En pratique, l’application de la CDHR va concerner les contribuables soumis à la CEHR dont le taux moyen d’impôt est inférieur à 20 % c’est-à-dire ceux dont la majeure partie des revenus est imposée au taux du PFU. Pour rappel, le PFU se décompose comme suit : taux d’imposition de 12,80 % + 17,20 % au titre des prélèvements sociaux. L’application du taux de 20 % instauré par le projet de loi de finances intègre uniquement l’impôt sur le revenu et non les prélèvements sociaux. En clair, seul le taux de 12,80 % est pris en compte pour le calcul de la CDHR.
Si la majorité de vos revenus est soumise au barème progressif de l’impôt sur le revenu, la CDHR ne vous concerne pas car votre impôt sera nécessairement supérieur au taux de 20 %. En effet, une personne seule avec un revenu imposable de 72 200 € se trouve déjà imposée au taux moyen de 20 %.
Pour être visé par cette mesure, il convient que la majeure partie de vos revenus soit taxée au PFU, tel est le cas si vous êtes chef d’entreprise ou profession libérale et avez privilégié une rémunération sous forme de dividendes. Si, par exemple, votre rémunération se décompose en salaires à hauteur de 24 000 € par an et de dividendes à hauteur de 300 000 €, vous serez concerné par cette nouvelle mesure. En effet, compte tenu de l’abattement des 10 % au titre des frais professionnels, votre revenu imposable est fixé à 21 600 €. Il en découle un impôt de 774 € et une imposition à la première tranche du barème, soit 11 %. Les dividendes, quant à eux, sont taxés à 12,80 %, soit une ponction fiscale de 38 400 €. Vous serez également assujetti à la CEHR pour un montant de 2 148 € (321 600 € - 250 000 €, soit 71 600 € imposés à 3 %). Au global, au titre de l’impôt sur le revenu, vous aurez acquitté 41 322 € (774 € + 38 400 € + 2 148 €) ce qui représente un taux moyen de 12,85 % (41 322 € / 321 600 €). Ce montant étant inférieur au montant minimum requis fixé à 64 320 € (321 600 € x 20 %), vous devrez donc acquitter un complément d’impôt à concurrence de 22 998 € (64 320 € - 41 322 €). Il est à souligner que vous aurez également supporté les prélèvements sociaux sur les dividendes à hauteur de 51 600 € portant la pression globale à 115 920 €, soit 36 % du revenu. Précisons également que, pour pouvoir distribuer les dividendes, votre entreprise a dû dégager un bénéfice et, par conséquent, a dû acquitter l’impôt sur les sociétés qui s’est monté à 100 000 € de sorte que la pression fiscale globale ressort à 215 920 € pour percevoir 324 000 €.
Etant donné que la CEHR est comprise dans le taux de 20 %, cela revient dans les faits à augmenter la ponction fiscale de 9,41 %, voire de 12,73 %. En effet, cette mesure a pour conséquence indirecte de porter le taux marginal du PFU à 37,20 % (20 % d’IR avec CEHR + 17,20 % au titre des prélèvements sociaux) au lieu de 33 % (PFU de 30 % + CEHR de 3 %) ou de 34 % (PFU de 30 % + CEHR de 4 %). Si vous disposez d’un revenu exceptionnel (cession d’entreprise, …), sachez qu’il est prévu un mécanisme de lissage qui permet d’amoindrir ou d’éviter le paiement de la CDHR.
Le projet de loi de finances prône également le durcissement de la fiscalité des plus-values des biens immobiliers loués sous le régime de la location meublée non professionnelle (LMNP). Dans le cadre d’une location meublée, si vous avez retenu le régime réel d’imposition, l’amortissement du bien et du mobilier est déduit du résultat fiscal ce qui concoure à minorer le bénéfice imposable. Jusqu’à présent, au moment de la vente du bien, les déductions liées à l’amortissement ne devaient pas être réintégrées dans le calcul des plus-values. Estimant qu’il s’agit d’une anomalie fiscale, le gouvernement souhaite corriger le tir en déduisant les amortissements pratiqués du prix d’achat dans le cadre du chiffrage de la plus-value. Afin de mesurer les effets d’une telle mesure, prenons l’exemple d’un immeuble acquis il y a 15 ans au prix de 200 000 € et vendu 350 000 € pour lequel les amortissements cumulés ont été de 80 000 €. Si la vente intervient sous le régime actuel, le prix d’acquisition à retenir pour le calcul des plus-value ressort à 200 000 €, soit un impôt de plus-value de 23 060 €. Avec le projet de loi de finances, les amortissements doivent être déduits du prix d’acquisition, de sorte que celui ressort à 120 000 € d’où un impôt de plus-value de 46 207 €. Cette mesure est loin d’être anodine puisque cela revient, dans notre exemple, à doubler le montant de l’impôt. L’entrée en application concerne les cessions qui interviendront à compter du 1er janvier 2025. Si vous en avez la possibilité, il est donc préférable de passer l’acte de vente avant le 31 décembre 2024.
En dépit de ces mesures, le projet de loi de finances pour 2025 fait preuve d’une certaine stabilité fiscale ce qui pourrait laisser supposer que l’année 2025 sera paisible sur le plan fiscal. Il s’agit d’une erreur puisque le système fiscal français laisse place à une forme d’insécurité dans la mesure où il est impossible de connaître avec certitude la fiscalité applicable aux revenus de l’année en cours avant le 31 décembre. En effet, une loi de finances adoptée en cours d’année est susceptible de modifier les règles et d’impacter l’ensemble des revenus perçus au cours de l’année y compris ceux soumis au PFU. Contrairement aux apparences, même si, avec le PFU, la fiscalité est prélevée au moment du versement du revenu, ce n’est pas pour autant que l’impôt est définitivement acquitté puisque, dans les faits, le PFU n’est qu’un simple acompte. Pour mémoire, seuls les revenus soumis au prélèvement forfaitaire libératoire ne peuvent être impactés par une loi de finances rectificative. Tel est le cas des rachats effectués sur les contrats d’assurance-vie pour lesquels des primes ont été versées avant le 27 septembre 2017.
S’il est désormais vraisemblable que le matraquage fiscal souhaité par les députés n’aura pas lieu en 2024, rien n’est donc certain pour 2025. Partant de ce postulat, même si la loi de finances pour 2025 n’a pas modifié le taux du PFU qui demeure fixé à 30%, une loi de finances rectificative pourrait voir le jour au cours de l’année 2025 incluant une augmentation du taux de PFU, ce qui impacterait l’ensemble de la fiscalité des revenus et des plus-values encaissés au cours de l’année 2025. Si vous avez suivi les débats budgétaires, il ne vous a pas échappé que la commission des finances présidée par Eric Coquerel avait voté une hausse de 3 points du PFU portant ainsi son taux à 33 %, mesure qui, en définitive, n’a pas été approuvée. Il est probable, voire inévitable, que les règles fiscales vont se durcir au cours des années à venir puisque les réformes d’ampleur en vue de baisser les dépenses publiques semblent malheureusement impossibles en France.
Dans ces conditions, si vous avez la main sur votre rémunération, vous avez certainement intérêt à profiter de cette clémence fiscale passagère pour vous distribuer des dividendes ou matérialiser des plus-values latentes d’ici la fin de l’année avec un PFU maintenu à 30 %. Si vous décalez les distributions de dividendes et les cessions en 2025, vous prenez le risque de subir une fiscalité plus lourde en cas de promulgation d’une loi de finances rectificative. Bien évidemment, avant de procéder à ces opérations de distributions ou de cessions, vous devez, au préalable, mesurer les impacts en matière de CEHR et de CDHR. Enfin, afin de vous prémunir de tout risque de dernière minute quant à une modification des règles fiscales en 2024, il est préférable de décaler votre distribution ou vos cessions mi-décembre lorsque l’ensemble des mesures de la loi de finances sera définitivement connu.
En conclusion, en dépit de débats parlementaires houleux faisant la part belle au grand soir fiscal, la fiscalité restera en fin de compte relativement douce au regard du niveau des déficits. Cette accalmie devrait toutefois n’être que temporaire. C’est la raison pour laquelle, si vous en avez la possibilité, n’hésitez pas à externaliser vos dividendes et vos plus-values d’ici la fin de l’année.