Actuellement, les personnes de plus de 60 ans représentent près du quart de la population française et, en 2060, elles dépasseront le tiers de la population. Dans le même temps, les plus de 85 ans vont passer de 2 % de la population à 8 %. Ces chiffres traduisent l’inévitable vieillissement de la population française, conséquence du ralentissement des naissances et de l’allongement de la durée de vie. S’il est réjouissant de vivre de plus en plus vieux, ce n’est pas pour autant que nous allons rester en bonne santé. Selon Eurostat, l’office de statistique de l’Union Européenne, l’espérance de vie en bonne santé ressort, en France, à 62,6 ans pour les hommes et 64,6 ans pour les femmes. Sachant que l’espérance de vie est de 79,2 ans pour les hommes et 85,5 ans pour les femmes, il faut donc s’attendre à vivre en plus ou moins « mauvaise santé » pendant près de 20 ans !
Ce faisant, nous serons donc vraisemblablement à un moment ou à un autre de notre vie confrontés à la problématique de l’altération de notre état de santé ou de celui de nos proches. Or, certaines maladies neuro-dégénératives telles qu’Alzheimer vont poser de réels problèmes sur le plan patrimonial puisque les personnes atteintes ne sont plus en capacité d’assurer la gestion de leurs avoirs. Sachant qu’au fil du temps, l’état de dépendance d’une personne vulnérable aura plutôt tendance à s’aggraver, il est nécessaire de s’en préoccuper dès l’apparition des premiers signes d’altération.
Face à cette problématique, de nombreuses solutions juridiques peuvent être mises en place avant ou après la survenance de l’état de dépendance.
Parmi les solutions pouvant être adoptées avant le déclenchement de la dépendance, figurent la procuration et le mandat de protection future.
La procuration
Dans les faits, la procuration est le premier stade de l’assistance puisque cela permet à quelqu’un de se délester de la gestion des tâches quotidiennes au profit d’un tiers qui a le pouvoir d’agir au nom de cette personne. Dans la pratique, la procuration peut être établie sur papier libre (procuration sous seing privé) ou par devant notaire (procuration notariée). Si elle est notariée, son coût est d’environ 100 €. Cette dernière est préférable dans la mesure où les pouvoirs sont plus importants. La procuration peut être établie pour des tâches particulières (signer un bail, réaliser des opérations bancaires, assister à une assemblée générale) ou toutes les tâches (procuration générale) de sorte que le tiers désigné va pouvoir administrer l’ensemble des biens. Le fait d’avoir consenti une procuration générale à un tiers n’empêche pas le titulaire de pouvoir continuer à gérer librement ses biens. Si les facultés de la personne ayant donné procuration venaient à s’altérer, le tiers devra cesser de faire usage de la procuration car les actions entreprises pourraient alors être contestées.
Dans cette hypothèse, si un mandat de protection future a été établi, il pourra alors être activé. Bien évidemment, en l’absence de terme prévu au moment de sa mise en place, la procuration prendra fin au décès de l’une des parties ou suite à la révocation par l’une d’entre elles.
Le mandat de protection future
Le mandat de protection future a pour objet la désignation d’une tierce personne (dénommée mandataire) en vue d’agir en lieu et place du mandant dans le cas où une altération de son état physique ou mental surviendrait. Le mandant peut choisir un mandataire unique ou distinct pour assurer la protection de sa personne et de son patrimoine. Il est également possible d’opter pour une personne morale inscrite sur la liste des mandataires judiciaires à la protection des majeurs ou pour un mandataire professionnel (notaire, avocat, conseiller en gestion de patrimoine…).
Le mandat de protection future reste révocable et modifiable à tout moment tant qu’il n’est pas entré en application c'est-à-dire tant que le mandant conserve ses facultés. Le mandat de protection future peut prendre la forme d’un acte notarié ou d’un acte sous seing privé. S’il est notarié, son coût est fixé à environ 420 €. S’il est sous seing privé, il doit être soit contresigné par un avocat, soit conforme au formulaire cerfa n°13592*02 et être enregistré à la recette des impôts du domicile du mandant. Dans ce cas, les frais d’enregistrement se montent à 125 €.
Lorsque le mandataire constate que l’état de santé du mandant ne lui permet plus de prendre soin de sa personne ou de s’occuper de ses affaires courantes, il doit alors effectuer les démarches nécessaires pour que le mandat prenne effet. Dans ce cas, il convient de faire constater l’état de santé du mandant par un médecin inscrit sur une liste établie par le Procureur de la République. Muni du mandat et du certificat médical, le mandataire doit se rendre au greffe du tribunal d'instance du lieu de résidence du mandant pour faire viser le mandat par le greffier et permettre ainsi sa mise en application. Lors de sa mise en œuvre, le mandataire devra établir un inventaire du patrimoine et, chaque année, établir un compte de gestion et rendre compte de sa mission à la personne désignée pour le contrôle du mandat. Le mandat de protection future s’exerce, en principe, à titre gratuit. Une rémunération ou une indemnisation est cependant possible si elle a été prévue. Le mandat prendra fin si le mandant recouvrait ses facultés ou s’il était placé sous curatelle ou tutelle. Le décès du mandant ou du mandataire (ou son placement sous tutelle ou curatelle) met également fin au mandat de protection future.
Les solutions juridiques pouvant être mises en place après la survenance de la dépendance.
Dès lors que la dépendance a médicalement été constatée, la saisine du juge des tutelles devient incontournable. Celle-ci doit se faire auprès du Tribunal d’Instance du lieu de résidence de la personne à protéger et peut émaner des intervenants suivants : la personne à protéger, son époux, concubin ou partenaire de Pacs, un membre de la famille, un ami avec qui elle entretient des liens étroits et stables ou du Procureur de la République directement ou suite au signalement d’un tiers (services sociaux, médecin…). Le juge, étant dans l’obligation de rendre une mesure proportionnée et individualisée en fonction du degré d’altération des facultés de l’intéressé, va exiger la production d’un certificat médical circonstancié. Attention, il ne va pas s’agir de produire un certificat émanant du médecin traitant mais d’un médecin à choisir sur une liste établie par le Procureur de la République. Cette liste est disponible auprès du tribunal dont dépend la personne vulnérable en contactant le Procureur, les services des tutelles ou le site internet du tribunal.
Le juge va ensuite auditionner l’intéressé (sauf si son état ne le permet pas) en présence de son avocat ou de toute autre personne de son choix sous réserve de l’accord du juge. L’audition se déroule généralement au tribunal et n’est pas publique. Dans la plupart des cas, le juge va entendre les proches et plus particulièrement les enfants afin d’identifier le contexte familial et de réfléchir à la nomination du protecteur. A l’issue de l’instruction, le juge des tutelles statue et notifie son jugement. Celui-ci peut aboutir à placer sous curatelle ou tutelle la personne à protéger.
Toutefois, avant d’ouvrir une mesure de protection (habilitation familiale, sauvegarde de justice, curatelle ou tutelle), le juge des tutelles va, en priorité, rechercher si une solution peu contraignante est envisageable telle que la prise en charge par le conjoint en vertu des devoirs ou obligations entre époux définis aux articles 212 à 226 du Code Civil.
En effet, indépendamment des règles propres au régime matrimonial, le Code Civil édicte des principes de base aux époux. Ainsi, chaque époux peut ouvrir librement un compte bancaire et le faire fonctionner seul (article 221). S’il s’agit d’un compte ouvert en commun, chacun peut le faire fonctionner seul ce qui évite les blocages en cas de survenance d’une incapacité. En revanche, si l’époux devenu incapable ne possédait que des comptes personnels, le conjoint ne pourra pas les faire fonctionner sans procuration. Or, la procuration ne pourra pas être délivrée si l’époux est devenu incapable. L’article 220 du Code Civil permet à chacun des époux de procéder seul aux actes nécessaires à l’entretien du ménage, à l’éducation des enfants à la condition que les dépenses engagées ne soient pas somptuaires. Enfin, au terme de l’article 222 du Code Civil, chaque époux est réputé être habilité à gérer les biens communs en exécutant des actes n’engageant pas le patrimoine du couple. Autrement dit, un époux peut opérer seul les actes conservatoires et d’administration. En revanche, il lui est impossible d’agir seul pour les actes plus importants (actes de disposition) tels que la vente d’un bien immobilier. Pour pouvoir opérer de tels actes, à défaut d’avoir pris les devants en ayant activé un mandat de protection future, il sera obligatoire de saisir le juge des tutelles afin d’instaurer des mesures de protection.
L’habilitation familiale
En vigueur depuis le 1er janvier 2016, l’habilitation familiale est un outil juridique simple et rapide dans sa mise en place permettant de venir en aide à une personne en état de vulnérabilité. Si l’entente familiale est bonne, l’habilitation familiale est à préconiser car elle donne des pouvoirs étendus sans devoir user du formalisme de la curatelle ou de la tutelle. Dans la pratique, le juge des tutelles va désigner une ou plusieurs personnes dans l’entourage proche de la personne incapable de pourvoir seule à ses intérêts et va fixer l’étendue de l’habilitation.
Par nature, le mécanisme de l’habilitation ne peut pas bénéficier à une personne qui n’a pas d’entourage proche puisque seuls les enfants, petits-enfants, parents, grands-parents, frères et sœurs ainsi que le conjoint, le partenaire de Pacs ou le concubin peuvent bénéficier du dispositif. La personne habilitée devra nécessairement exercer sa mission à titre gratuit.
L’habilitation peut porter sur des actes déterminés que le proche aura le pouvoir d’accomplir seul (ouverture d’un compte bancaire, conclure un bail, vendre un bien immobilier) et, dans ce cas, on parle d’habilitation spéciale. Le juge peut aussi délivrer une habilitation générale portant sur l’ensemble des actes et ce sur une durée maximale ne pouvant excéder 10 ans, renouvelable sur nouvelle demande faite au juge. Si la personne vulnérable passe seule un acte dont l’habilitation a été confiée à un tiers, l’acte sera nul de plein droit. Si la personne bénéficiant d’une habilitation familiale a pris des engagements moins de deux ans avant le jugement délivrant l’habilitation, ces actes ou engagements pourront être annulés ou diminués s’ils lui ont causé préjudice.
L’habilitation prendra fin : au décès de la personne protégée ; à son remplacement par une sauvegarde de justice, une curatelle ou une tutelle ; par un jugement de mainlevée lorsqu’il s’avère que les conditions ne sont plus réunies ou lorsque l’exécution de l’habilitation familiale est de nature à porter atteinte aux intérêts de la personne protégée ; de plein droit en l’absence de renouvellement à l’expiration du délai fixé ou après l’accomplissement des actes pour lesquels l’habilitation avait été délivrée. Bien entendu, la personne habilitée engage sa responsabilité à l’égard de la personne représentée pour l’exercice de l’habilitation qui lui est conférée, dans les mêmes conditions.
La sauvegarde de justice
La sauvegarde de justice est une mesure de protection juridique temporaire qui permet à la personne en situation de vulnérabilité d'être représentée sans délai pour accomplir certains actes. Cette mesure est généralement prise par le juge des tutelles dans l’attente de l’instruction du dossier qui demande, en règle générale, un délai variable de l’ordre de six mois selon les tribunaux. En fonction de l’état de santé de la personne, le jugement va déboucher sur une curatelle simple ou renforcée voire sur une tutelle et mettra ainsi fin à la mesure de sauvegarde de justice dont la durée ne peut excéder un an renouvelable une seule fois.
La curatelle simple ou renforcée
La curatelle est une mesure d’assistance qui autorise la personne vulnérable à agir seule pour les actes courants et à être assistée et contrôlée par un tiers (le curateur) pour les actes plus graves. Le juge va, en priorité, désigner comme curateur un membre de la famille (conjoint, enfant, neveu…) en tenant compte du choix de la personne à protéger si elle l’a exprimé. S’agissant d’une mission non rémunérée, le juge va systématiquement opter pour le volontariat. Si aucun proche ne souhaite ou ne peut accomplir cette mission (absence de famille ou éloignement géographique), le juge va alors se tourner vers un professionnel, à savoir un mandataire judiciaire à la protection des majeurs. Dans ce cas, les honoraires seront à la charge de la personne protégée. Le mandataire judiciaire peut être une personne physique ou une association tutélaire telle que l’UDAF (Union Départementale des Associations Familiales).
La curatelle simple permet à la personne protégée d’accomplir seule les actes de gestion courante (actes d’administration) tels que la gestion des comptes bancaires ou la souscription d’une assurance. L’assistance du curateur est obligatoire pour les actes plus importants qui influent directement sur la consistance du patrimoine (actes de disposition) tels que la contraction d’un emprunt, la vente d’un immeuble, l’établissement d’une donation…
Dans le cas d’une curatelle renforcée, le curateur perçoit les ressources de la personne et règle ses dépenses sur un compte ouvert au nom de la personne protégée. Le curateur est tenu de rendre compte de l’exécution de son mandat tant à la personne protégée qu’au juge. En cas de curatelle renforcée, le curateur doit remettre chaque année au Tribunal d’Instance un compte rendu de sa gestion. La durée de la curatelle ne peut excéder une période de 5 ans renouvelable. En présence d’une altération irrémédiable, le juge peut décider de renouveler la curatelle pour une durée supérieure sachant qu’elle ne peut excéder 20 ans. La curatelle prend fin dans les cas suivants : à tout moment si le juge décide qu’elle n’est plus nécessaire suite à la demande de l’intéressé ou de ses proches ; à l’expiration de la durée fixée ou en cas de remplacement par une tutelle et au décès de la personne sous curatelle.
La tutelle
Très proche de la curatelle dans son fonctionnement, la tutelle va être retenue par le juge si la personne protégée n’est plus en capacité de manifester sa volonté pour l’ensemble des actes de la vie quotidienne. Elle sera donc représentée par son tuteur pour accomplir tous les actes de la vie civile.
En conclusion, compte tenu de l’allongement de la durée de vie, de plus en plus de personnes vont connaître un état de dépendance plus ou moins marqué. Pour s’affranchir des problèmes patrimoniaux, prévoir une procuration générale couplée à un mandat de protection future est un bon réflexe. Sachant que ces mécanismes doivent impérativement avoir été initiés lorsque les capacités sont encore pleines et entières, il convient de prendre les devants. Dans ce domaine, ne pas vouloir affronter la réalité en face est une très mauvaise stratégie. Il est impératif d’anticiper les problèmes et ne pas attendre que l’état de dépendance soit constaté. En effet, dans ce cas, la procuration notariée et le mandat de protection future vont pouvoir permettre d’assister la personne vulnérable et lui assurer la protection de son patrimoine. Si, malheureusement, son état devenait plus préoccupant, il faudrait alors recourir à la curatelle ou à la tutelle.