Si, dans les familles dites traditionnelles, c’est-à-dire les familles qui ne comportent que des enfants issus du couple, les successions peuvent parfois être source de tensions entre les héritiers, les problèmes sont plus fréquents dans les familles dites recomposées. Par définition, une famille recomposée est une famille qui, parmi ses enfants, dénombre au moins un enfant issu d’une précédente union d’un des conjoints. En présence d’une famille recomposée, lorsque survient le décès de l’un des conjoints, les écueils sont nombreux car les intérêts du conjoint survivant se trouvent être radicalement opposés à ceux de ses beaux-enfants, d’où un contexte conflictuel. Cette situation est d’autant plus épineuse que les enfants issus du précédent mariage ne sont pas héritiers du conjoint survivant ce qui n’est pas le cas pour les enfants issus du couple. En clair, tous les biens attribués au conjoint survivant ont pour effet de priver les enfants issus d’une précédente union des biens de leur parent décédé.
En l’absence de dispositions spécifiques, le conjoint survivant d’une famille recomposée se voit attribuer un quart du patrimoine du défunt en pleine propriété. Il convient de préciser que, contrairement à une idée reçue, le conjoint est aussi héritier des biens propres du défunt. En présence de biens communs, l’actif successoral se compose donc de 50 % des biens communs (les 50 % restants demeurent la propriété du survivant) et 100 % des biens propres. En l’absence de biens communs, la succession se limite à 100 % des biens personnels du défunt. Au décès du conjoint, le survivant se voit attribuer la pleine propriété d’un quart de la moitié du patrimoine commun et d’un quart de la totalité des biens propres du défunt. Les trois quarts sont partagés entre les enfants du défunt sans distinction entre ceux issus du premier et du second mariage. De ce fait, les actifs seront détenus en indivision ce qui a pour conséquence de compliquer leur traitement puisque le consentement des deux tiers des indivisaires est requis pour effectuer les actes de gestion courante et de l’ensemble des membres de l’indivision pour céder l’actif.
Cette transmission du quart en pleine propriété fait montre d’un manque de protection pour le survivant qui devra nécessairement partager la propriété avec ses beaux-enfants et de dol pour les enfants du défunt dans la mesure où la part revenant au survivant sera, lors de son décès, partagée entre ses enfants et non ceux du défunt.
Il convient de préciser que la résidence principale dispose d’un statut privilégié pour le conjoint survivant puisque la loi prévoit son maintien dans le logement familial durant une période de 12 mois maximum. Si vous estimez que ce droit de jouissance temporaire n’est pas suffisant, sachez que le conjoint survivant peut bénéficier d’un droit d’habitation viager moyennant rétribution fixée à 60 % de la valeur de l’usufruit. Pour mémoire, ce droit d’habitation est un droit particulier assimilable à un usufruit limité car il se cantonne à la possibilité d’habiter le bien sans possibilité de le louer, de le vendre ou de le donner. Pour rappel, la valeur de l’usufruit varie en fonction de l’âge de l’usufruitier tel que le prévoit l’article 669 du CGI. En présence d’une personne de 75 ans, la valeur de l’usufruit est fixée à 30 % d’où un droit d’habitation équivalent à 18 % dans le cas d’une détention commune.
Si vous estimez que la transmission du quart en pleine propriété de vos avoirs à votre conjoint n’est pas suffisante et souhaitez lui léguer davantage, notamment en vue d’éviter les méfaits de l’indivision, vous devez nécessairement prendre les devants.
Il convient de préciser que vous ne pourrez pas transmettre l’intégralité de vos avoirs à votre conjoint puisqu’en France, il n’est pas possible de déshériter ses enfants dans la mesure où ceux-ci possèdent le statut d’héritiers réservataires. L’article 912 du code civil stipule en effet que « la réserve héréditaire est la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s'ils sont appelés à la succession et s'ils l'acceptent. La quotité disponible est la part des biens et droits successoraux qui n'est pas réservée par la loi et dont le défunt a pu disposer librement par des libéralités ».
Le code civil définit également les quotes-parts devant revenir aux héritiers réservataires, à savoir :
- 50 % du patrimoine du défunt en présence d’un seul enfant.
- 66,66 % du patrimoine du défunt en présence de deux enfants.
- 75 % du patrimoine du défunt en présence de trois enfants et plus.
Il est à noter que les enfants disposent des mêmes droits successoraux sans qu’aucune distinction ne soit opérée entre ceux issus du couple, ceux adoptés et ceux issus d’une précédente union. En clair, si vous avez deux enfants, vous pouvez attribuer un tiers de votre patrimoine aux personnes de votre choix sachant que les deux tiers doivent revenir à vos enfants en qualité d’héritiers réservataires.
En règle générale, le contrat de mariage privilégié dans les familles recomposées est celui de la séparation de biens car il permet de rester seul décisionnaire dans la gestion de ses avoirs et d’éviter la confusion des patrimoines entre les époux.
Afin d’octroyer plus de droits à votre conjoint, l’une des solutions les plus simples à mettre en œuvre est d’effectuer une donation entre époux, également dénommée « au dernier vivant ». Cette donation a pour objet d’augmenter les droits successoraux du conjoint. Au lieu de voir ses droits limités à un quart en pleine propriété, le conjoint pourra opter pour la totalité en usufruit ou un quart en pleine propriété et les trois quarts en usufruit ou pour la quotité disponible en pleine propriété qui, comme indiquée précédemment, varie de 50 % en présence d’un seul enfant, à 25 % en présence de 3 enfants et plus, en passant par 33,33 % en présence de deux enfants. Le solde du patrimoine sera attribué aux enfants du défunt et, par conséquent, également à ceux issus du premier mariage. Il est à souligner que l’usufruit a pour effet d’offrir une meilleure protection pour le conjoint qui pourra ainsi jouir du patrimoine, c’est-à-dire occuper le bien ou le louer et encaisser les loyers, sans avoir de compte à rendre à ses beaux-enfants. Cette protection demeure toutefois illusoire dans le cas de la vente du bien puisque l’usufruitier devra non seulement recueillir l’accord des enfants et beaux-enfants mais aussi partager le prix de vente. A défaut d’accord entre les parties pour replacer les capitaux sous forme démembrée, le partage s’impose comme le stipule l’article 621 du code civil : « en cas de vente simultanée de l'usufruit et de la nue-propriété d'un bien, le prix se répartit entre l'usufruit et la nue-propriété selon la valeur respective de chacun de ces droits, sauf accord des parties pour reporter l'usufruit sur le prix ».
Afin d’appréhender les effets d’une vente pour le survivant, prenons l’exemple suivant : au décès de son mari, Madame X a opté pour l’usufruit sur la résidence principale qui appartenait en propre à son conjoint. Suite à la vente du bien, le partage a été opéré et Madame X a perçu sa quote-part, qui est fonction de son âge au jour de la cession, en vertu de l’article 669 du CGI. Si Madame X est âgée de 75 ans, le notaire va lui verser un capital correspondant à 30 % de la valeur de la maison. Il est évident qu’avec un capital limité à 30 % de la valeur de la résidence principale, il devient difficile pour Madame X de se reloger dans les mêmes conditions ou, si le bien était mis en location, de percevoir un loyer équivalent. Il est à noter que le partage peut également se faire selon la règle de l’usufruit économique qui tient compte de l’espérance de vie de l’usufruitier et du rendement du bien.
La création d’une société d’acquêts s’avère être une excellente solution pour rendre le caractère commun à un bien appartenant à l’un des époux puisqu’elle a pour objet de rendre commun les biens qui y sont logés. Si la résidence principale y figure, elle sera donc soumise aux règles de la communauté légale. Afin d’éviter que le survivant ne se retrouve propriétaire en compagnie des enfants du défunt, il est souhaitable d’y adjoindre une clause de préciput. Le préciput est un avantage matrimonial qui offre la possibilité au survivant de prélever avant tout partage, certains biens communs. Ce faisant, le conjoint survivant sera l’unique propriétaire de la résidence principale qui appartenait à son conjoint décédé. Il convient toutefois de préciser que cette clause préciputaire a pour conséquence d’évincer la résidence principale de l’actif successoral privant ainsi les enfants d’un bien dont ils étaient héritiers. Dans le but d’éviter toute spoliation, les enfants pourront agir en retranchement afin de limiter le montant de l’avantage matrimonial s’ils estiment que leur réserve est attaquée.
Cette notion d’action en retranchement est précisée par le code civil en son article 1527 alinéa 2 et 3 : « Néanmoins, au cas où il y aurait des enfants qui ne seraient pas issus des deux époux, toute convention qui aurait pour conséquence de donner à l'un des époux au-delà de la portion réglée par l'article 1094-1, au titre " Des donations entre vifs et des testaments ", sera sans effet pour tout l'excédent ; mais les simples bénéfices résultant des travaux communs et des économies faites sur les revenus respectifs quoique inégaux, des deux époux, ne sont pas considérés comme un avantage fait au préjudice des enfants d'un autre lit. Toutefois, ces derniers peuvent, dans les formes prévues aux articles 929 à 930-1, renoncer à demander la réduction de l'avantage matrimonial excessif avant le décès de l'époux survivant. Dans ce cas, ils bénéficient de plein droit de l'hypothèque légale prévue au 4° de l'article 2402 et peuvent demander, nonobstant toute stipulation contraire, qu'il soit dressé inventaire des meubles ainsi qu'état des immeubles.»
Comme le prévoit le code civil, afin de se prémunir d’un tel risque, les parents peuvent demander aux enfants du premier lit d’accepter par anticipation la renonciation à l’action en retranchement. Il est à souligner que cette renonciation est temporaire car les enfants s’interdisent d’intenter toute action tant que le conjoint survivant est en vie. A son décès, les enfants pourront ester en justice afin de faire valoir leurs droits. Cette renonciation prend la forme d’un acte authentique mettant en œuvre deux notaires et doit préciser de manière expresse les conséquences juridiques futures pour le renonçant (l’enfant du premier lit) ainsi que pour le bénéficiaire de la renonciation (le conjoint survivant). Le renonçant bénéficie d’une grande liberté car la renonciation peut viser une atteinte portant sur la totalité de la réserve et, dans ce cas, il accepte d’être privé de tous ses droits ou sur une fraction de la réserve voire sur une unique libéralité portant sur un bien déterminé.
Il est également envisageable de changer de régime matrimonial et d’adopter un régime communautaire. Sans tomber dans l’extrême en envisageant une communauté universelle, l’adoption du régime légal, à savoir la communauté réduite aux acquêts a pour effet d’augmenter la protection du survivant comme l’édicte l’article 1527 du code civil : « Les avantages que l'un ou l'autre des époux peut retirer des clauses d'une communauté conventionnelle, ainsi que ceux qui peuvent résulter de la confusion du mobilier ou des dettes, ne sont point regardés comme des donations ». En clair, cela signifie que, les placements et l’épargne constituée à partir des revenus des époux, pourront être attribués au survivant même si les revenus sont inégaux et que seuls les revenus du défunt sont à l’origine de l’épargne et des placements. Le mariage sous le régime légal permet donc un transfert de patrimoine au bénéfice du survivant à hauteur des économies faites par le couple sur leurs salaires et les revenus de leurs biens propres.
L’inconvénient de cette solution réside dans l’action en retranchement dont pourront se prévaloir les enfants issus de la précédente union. En effet, à la lumière de l’article 1527 du code civil, l’action en retranchement à vocation à supprimer les clauses du contrat de mariage trop généreuses en faveur du nouveau conjoint. Toutefois, comme souligné précédemment, les parents peuvent demander aux enfants du premier lit d’accepter par anticipation la renonciation à l’action en retranchement.
La souscription d’un contrat d’assurance vie au profit du conjoint s’avère être d’une redoutable efficacité pour assurer sa protection car le capital issu d’un contrat d’assurance vie se trouve hors succession et, dès lors, les règles du rapport à la succession et celles de la réduction pour atteinte à la réserve ne s’appliquent pas comme l’atteste l’article L132-13 du code des assurances : « le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant. Ces règles ne s'appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés ». Autrement dit, tous les versements effectués sur l’assurance vie permettent de facto de réduire la masse successorale sur laquelle la réserve est calculée.
Par exemple, si votre patrimoine est composé de 100 K€ de contrats d’assurance vie et 1 M€ d’autres actifs (immobiliers, comptes-titres, liquidités…), la réserve ressort à 666 667 € en présence de deux enfants. Si la part d’assurance vie se monte à 450 K€ et les autres actifs à 650 K€, il en découle une réserve de 433 333 €. Dans l’absolu, si tout votre patrimoine était composé d’assurance vie, il serait alors possible de déshériter totalement vos héritiers réservataires. Afin d’éviter de sombrer dans de tels écueils, le législateur a prévu deux garde-fous, à savoir le mécanisme des primes manifestement exagérées et celui de la donation indirecte.
Afin de juger du caractère manifestement exagéré du versement, la situation s’étudie au cas par cas car le législateur n’a pas fixé de plafond de versement et de limite d’âge. Les éléments qui entrent en ligne de compte sont l’importance des primes au regard de la situation patrimoniale et financière ainsi que l’utilité de l’opération pour le souscripteur ce qui englobe notamment l’âge et l’état de santé du souscripteur ainsi que les mouvements (arbitrages, retraits…) opérés sur le contrat. Ces éléments s’apprécient au jour du versement des primes et non au jour du décès. L’héritier qui se sent lésé ne pourra se manifester qu’après le décès de l’assuré et devra apporter la preuve de l’exagération des primes en produisant des éléments suffisamment précis et convaincants. L’appréciation de la nature manifestement exagérée de la prime relève uniquement du pouvoir du juge et non du notaire en charge de la succession. Si la prime est jugée exagérée, elle sera réintégrée pour être soumise aux règles successorales et, par conséquent, la réserve héréditaire sera accrue.
Par nature, la souscription d’un contrat d’assurance vie ne constitue pas en elle-même une donation. Cependant, le caractère de donation peut être reconnu dans certains cas où l’intention du dépouillement irrévocable du souscripteur est démontrée. Il faut garder en mémoire que le fondement de l’assurance vie est de couvrir le risque lié à la durée de vie du souscripteur d’où la notion d’aléa. Dès lors que l’aléa est absent, la requalification du contrat devient possible. Ainsi, la souscription d’un contrat d’assurance par une personne mourante dénote une absence évidente d’aléa. Si, suite à une action des héritiers ou de l’administration fiscale, la donation indirecte est démontrée, les capitaux perdent non seulement l’avantage fiscal de l’assurance vie, et se trouvent alors taxés sous le régime d’une donation, mais aussi, deviennent soumis au rapport sur le plan successoral.
En conclusion, si votre objectif est de protéger votre conjoint, il est impératif de prendre les devants car le code civil n’est pas adapté aux familles recomposées. Les règles successorales ont en effet été construites pour protéger le conjoint parent des enfants communs et pour transmettre le patrimoine du défunt de manière équitable entre tous ses enfants.